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Ces mots qui nous attachent.

Photo du rédacteur: Gaelle RaucheGaelle Rauche

Notes de lecture sur le nouveau livre de Camille Laurens.


Il y a des lectures qui nous interpellent, des mots qui nous empoignent, des récits qui nous laissent une impression étrange, un arrière goût d'huile de noix enfoui dans nos mémoires. Il y a des histoires qui nous habitent plusieurs jours, font bouger nos lignes profondes, et c'est le cas du dernier livre de l'autrice. Un livre qu'on pose pour reprendre, pour relire quelques bouts, pour essayer de comprendre.


Une écrivaine à succès, divorcée, endeuillée, qui transforme les chaos de sa vie dans des autofictions, rencontre un marionnettiste. Nous suivons avec elle les prémisses de leur histoire d'amour, dans une narration qui alterne entre la première personne du singulier et le "on" comme un indéfini. C'est une histoire comme nous aimerions toutes en vivre, peut-être. Bien que nous sachions dès la quatrième de découverte que c'est une histoire qui finit mal.


Nous comprenons rapidement que Claire Lencel parle à son avocate, en préparation d'un procès pour tentative de meurtre avec préméditation sur la personne de son compagnon, dans leur villa magique de Hyères, dans le midi. C'est un récit lent, qui se dessine doucement, au rythme du lien d'attachement qui se tisse d'abord dans l'adoration de Gilles pour Claire. Le fonctionnement psychique de l'homme interpelle aussi assez rapidement ; il semble collé à son désir à elle, ce qui alterne avec une rage soudaine et incompréhensible, provoquant sidération puis culpabilité. Il est celui qu'elle attendait, beau, brillant, attentif, attentionné, il se projette avec elle dans un lieu puis il devient distant, s'engage dans un projet tout aussi culturel que narcissique à l'étranger. Il se sert de sa notoriété pour écrire, obtenir un contrat d'édition tout en lui reprochant cette notoriété qui l'écrase. Sa lumière lui fait de l'ombre, il lui le reproche.


Et puis il y a cette promesse, de ne pas écrire sur lui.


Elle qui est écrivaine, d'autofictions. Elle lui demande en retour de ne pas la trahir. Il y a la question même de la promesse, comme un pacte avec un autre, mais aussi avec soi même. C'est quelque chose qui attache, qui joue sur la dette et la loyauté comme les fées autour du berceau de la belle au bois dormant. Bien que la belle aux bois dormant fusse un bébé, et qu'il n'y a pas de question de réciprocité ou d'engagement, ni même de consentement. Doit-on tenir sa promesse si l'autre ne la tient pas. C'est une question que Claire Lencel se pose et nous pose. Mais il y a aussi ce qui est promis, comme une manière de vider l'écrivaine de sa substance, de l'empêcher d'accéder à sa créativité, en occupant cet espace, le sien. La perversion occupe tous les espaces, ne lui laisse pas de répit, tout en ne disant pas son nom de perversion.


Le revirement est finalement rapide, violent. Il est un autre que celui qu'elle voulait voir, avoir dans sa vie. Un fond de mensonges, de tromperies, de manipulation, qui ne se dit jamais. Il lui répète comme une litanie une phrase qui la rattache toujours. Il lui donne des miettes qui la nourrissent désormais qu'elle est acquise à lui. Il alimente sa souffrance en la laissant à chaque fois plus désespérée, sans la moindre émotion face au tsunami qu'il a lui même provoqué. Il a tiré les ficelles de sa vie, il en a fait son objet et quand elle est devenue inintéressante, car trop passive, trop acquise, trop atteinte, trop dépressive sans doute, il en a pris une autre, comme un autre objet. Ce qui peut sembler romancé est tout à fait possible, plausible, trop réaliste parfois, et si je vous racontais ma propre histoire, vous ne la croiriez pas. Mais ce qui est intéressant avec le roman, c'est qu'on ne se questionne pas sur la part du réel ou de l'imaginaire, alors même que l'imaginaire de l'écrivain s'appuie sur des éléments de réalité. Celles.eux qui ont partagé cette réalité le savent, la reconnaissent, la ressentent, dans chaque mot, mais peut-on interdire de créer, recréer, de transformer à partir de celle-ci. C'est aussi la question que pose le livre, ouvertement ou entre les lignes. Il interroge le processus de création, la créativité, ce qui va permettre à Claire de sortir du marasme, par l'interlude d'un autre personnage masculin ; son éditeur. Il connait Gilles, il l'a même publié, mais il croit Claire, il aime Claire, il n'a pas été aveuglé par la séduction du marionnettiste. Tout comme le chorégraphe, un autre personnage masculin salvateur à mon sens. Dans une relation d'emprise, il y a parfois des mots qui sauvent, des personnes qui permettent de comprendre que cette réalité n'est pas la réalité, que le lien est distordu, devenu toxique.


Sa dernière partie est une reconstruction, une nouvelle narration de Gilles qui devient un personnage dénoué d'empathie. Claire refait l'histoire, écrivant à la première personne du singulier, écrivant pour Gilles, dans ce qu'elle a compris après-coup de son fonctionnement psychique et du lien d'emprise. Elle mène un travail d'enquête, pour revisiter leur histoire, maintenant qu'il est sorti du coma. Par le biais de son éditeur donc, qui passe par le corps, un regard envoyé qui lui permet de comprendre, comme un électrochoc. Elle refonde ce qu'elle croyait être, en prenant un autre point de vue, un autre prisme, celui de la sociopathie. Il y a un peu de la première saison de "YOU" dans ce récit, la quête du chasseur de sa proie. C'est en démantelant, en mettant de la compréhension, en créeant, qu'elle trouve le chemin pour être, en dehors de lui, de ce qu'elle imaginait être.


Et que dire de l'épilogue... on revient avec Claire sur la première promesse, originelle, faite à un autre. C'est la trame du trauma déjà égrenée dans le livre que l'on découvre. Un père absent, un mari volage, un fils décédé. Une croyance, une cognition négative qui revient, comme si tout était de sa faute à elle, car elle n'est pas assez, pas suffisante, pas satisfaisante.


Cela aurait pu être une histoire d'emprise mais c'est bien au-delà, une narration qui prend le temps de nous faire ressentir ce sentiment, avec une lecture dans l'après-coup qui vient par le travail créatif. Les mots des autres, les personnages secondaires viennent dans les interrogatoires donner encore une autre version, raconter une autre histoire.


C'est brillant, une histoire dans une histoire. Un roman qui raconte l'humanité, au-delà d'une histoire individuelle ou duelle. Et comme le trauma, çà laisse des traces.


GaËLLE, psychologue.


 
 
 

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